On n’hérite simplement pas d’une religion, on la cultive, comme on cultive un champ pour nourrir les siens. Une religion nous invite à pénétrer avec curiosité dans une immense bibliothèque qui conserve la trace de ce que, de génération en génération, les hommes ont dit et écrit pour d’autres hommes à propos de Dieu. On n’y entre pas les yeux bandés ; on doit aller, soi-même, chercher sur des rayons immenses les textes laissés par d’autres, en d’autres temps. Ces traces ne sont pas conservées pour que l’on y mette servilement nos pas. Elles rappellent les interprétations diverses d’une communauté croyante au sein de laquelle chacun, siècle après siècle, s’est engagé dans une réflexion individuelle tout en s’ouvrant à la discussion collective. Une religion digne de ce nom doit donc offrir à tous ceux qui poussent la porte de sa maison l’immense quantité de discours patiemment formulés, de textes patiemment transcrits, sans cesse interprétés, sans cesse discutés. C’est cette richesse spirituelle produite d’âge en âge, intimement mêlée à l’histoire des peuples, qui constitue la garantie d’une religion sincère, tolérante invitant au dialogue avec les autres. Une religion dont chaque croyant a le droit et le devoir sacrés d’aller questionner lui-même les discours et les textes. Une religion qui enjoint à chaque croyant de faire l’effort du sens et à confronter ainsi ses propres interprétations à celles des autres avec autant de respect que de discernement.
Aujourd’hui, trop de citoyens entrent « en religion « comme on adhère à un réseau social, afin d’y retrouver des « amis croyants » avec lesquels, faute de partager des savoirs et des questions, on ne sera lié que par le sentiment d’une « communion immédiate » fondée sur la haine des mêmes ennemis, des mêmes « mécréants ». Et ils ne se rendent même pas compte que c’est alors d’un clan dont ils font partie. ils en imitent maladroitement les rites, ils en répètent sans les comprendre les prières et ils en partagent préjugés et mots d’ordre. Nous voulons affirmer ici qu’en matière de religion, plus le chemin de l’engagement est court, plus l’effort intellectuel exigé est faible et plus la spiritualité cède la place au prosélytisme haineux et au mépris de l’autre. Une religion se mérite par l’effort intellectuel et linguistique qu’on lui consent; elle ne se porte pas comme un signe de reconnaissance acheté à vil prix et exhibé avec d’autant plus d’agressivité. Exonéré de toute quête culturelle et spirituelle, l’affidé n’est plus alors lié que par une appartenance d’autant plus contraignante qu’elle ne repose sur aucun partage, sur aucune exégèse, sur aucune controverse. Non content de lui imposer des rituels et des signes d’appartenance, le dogme religieux en viendra fatalement à lui dicter très vite ses préférences politiques, ses croyances scientifiques ou ses relations sociales, aliénant ainsi son autonomie de jugement. Au sein de chaque communauté confessionnelle, chacun sera ainsi contraint d’épouser une opinion grégaire et partiale sous peine d’être traité de traitre ou de …collabo. Parents ! Si vous faites de l’éducation religieuse une de vos missions, veillez à ce que l’interprétation, le questionnement des textes de chaque religion soit une occasion de dialogue et non de récitation ; c’est ainsi que vos enfants découvriront que les récits magnifiques des livres sacrés les relient aux autres et ne les opposent pas.
Toute religion, quel que soit le nom de Celui qui l’incarne, quelque soient les rituels qui la célèbrent est donc une élévation spirituelle et ne peut se réduire à une révélation dogmatique. L’apaisement, la consolation, l’espoir qu’elle offre ont un prix : le courage de la quête, la constance du questionnement, la volonté du partage et l’acceptation de l’échange ferme et fraternel. Lorsque l’on trace une frontière étanche entre la langue des textes sacrés et la langue du peuple on contribue à faire de la religion un asservissement et un abêtissement Cette séparation livre en effet les croyants à des intermédiaires qui se réservent, à eux seuls, le droit de comprendre, affirmant ainsi détenir LE sens définitivement établi des textes. Leur seul souci étant en vérité d’assoir leur pouvoir spirituel et…matériel. Gloire donc à Martin Luther qui traduisit la Bible en allemand, langue vernaculaire, à Jean Calvin qui traduisit en français « l’Institution de la religion chrétienne » ; l’un comme l’autre voulant ainsi rapprocher le peuple des Saintes Écritures. Gloire aussi à mon propre grand-père qui le soir de Pessah, disait l’Haggadah d’abord en hébreu, puis la traduisait en espagnol pour mes tantes qui ne comprenaient pas l’hébreu et enfin, la proposait en arabe à l’intention de nos voisins musulmans qui traditionnellement participaient à nos fêtes. Et honte à ceux qui ont voulu imposer, et qui pour certains imposent encore aujourd’hui une sacrosainte « langue de Dieu », ignorée des croyants, afin de les empêcher d’interpréter les textes.(note : je pense notamment au choix délétère fait par l’Algérie de décréter l’arabe du Coran, ignorée des élèves, comme langue de l’école). Refusons que, dans des lieux obscurs, un clergé obtus confisque à des enfants le droit de questionner et de construire le sens des écrits. Dans ces endroits qui ne méritent pas le nom d’Ecole, le juste respect dû au texte se change en servilité craintive, au point que l’idée même de comprendre devient inconvenante, insolente et sacrilège.
Parents, quelle que soit votre religion, vous avez un rôle essentiel à jouer dans le choix d’une spiritualité ouverte contre un enfermement religieux sectaire et agressif. A la maison, vous devrez expliquer que l’appartenance à une religion ne doit jamais signifier le mépris ou la haine contre d’autres appartenances ; vous soulignerez les convergences plutôt que les oppositions et vous s’efforcerez de donner du sens à des slogans religieux qui trop souvent en sont privées. A l’école l’instituteur préférera toujours l’interprétation à la fois libre et respectueuse des textes à l’oralisation dépourvue de sens ; il invitera les élèves à découvrir eux-mêmes les règles de fonctionnement plutôt que de les leur faire apprendre par cœur ; en bref il cultivera le goût et le talent du questionnement contre la simple obéissance. Parents et instituteurs formeront ainsi de jeunes intelligences curieuses et exigeantes qui refuseront toujours que l’appartenance religieuse engendre la haine de l’Autre.
A paraître « Demain la barbarie ? parents instits même combat », 3 octobre prochain chez Istya, 224 pages.